« Pourquoi tu restes avec moi ? Ya des gars bien mieux, des gars qui aiment les Pokémons...
- Je m'en fiche, Allan. C'est quoi le rapport ?
- Ben... Tout le monde aime les Pokémons, non ?
- Tout le monde aime le chocolat, mais pas moi. Tu vas arrêter d'être mon ami pour ça ? C'est pas grave si tu ne veux pas être dresseur, si tu ne veux pas être comme tout le monde. C'est même encore mieux. »Allan Rockwen n'a jamais aimé les Pokémons.
Il n'a jamais chanté vouloir être le meilleur dresseur et tous les capturer, il n'a jamais rêvé d'être sur scène avec eux, il n'a jamais souhaité en avoir. C'est pourtant une tradition familiale : papa collectionne les trophées, maman se bat pour leur protection et grand-frère clame haut et fort qu'il sera le plus fort du monde.
Au milieu de sa propre famille, Allan se sent comme un étranger.
Enfant déjà, il ne comprenait pas cette fascination qu’avait le monde entier pour ces petites créatures aux milles couleurs. A ses yeux, un animal était un animal, et il n’arrivait pas à éprouver de l’affection ou de l’empathie pour des bestioles incapable d'aligner trois mots. C’était déjà bien compliqué avec les gens, alors avec des animaux...!
Au fil des années, ce qui devait rester un simple manque d'intérêt se mua en quelque chose de bien plus mauvais : de la haine. Ce profond mépris n'est pas surgit de nulle part. Il est l'immonde résultat d'actes injustes, de souffrances intérieures. Il est naît de la peur.
Allan n'a pas oublié - il ne le pourra sans doute jamais - ce monstre qui, la nuit tombée, se glissait dans le noir de sa chambre d'enfant. Le pauvre gamin se cachait sous les draps, arrêtait même de respirer pour ne pas être vu ni entendu ! Mais deux yeux rouges luisaient dans l'obscurité : Valak, l'ectoplasma de son père. Cette espiègle créature s'amusait à terroriser les enfants de la maisonnée et, quoi de plus amusant que de s'en prendre au plus faible ? Allan était une victime de choix. Avec le temps, ce petit jeu devint une punition. Une mauvaise note, une bêtise, une erreur : chaque faute se soldait par une visite du spectre le soir-même.
Le petit Allan vivait dans la peur d'échouer, dans la crainte de décevoir son père.
Et en grandissant, cette peur se changea en haine.
A force de haïr ce pokémon, Allan se mit à haïr son dresseur, son propre père. Une figure d'autorité abjecte dont il ne pouvait contester aucune décision. L'homme le terrifiait autant que les spectres qu'il collectionnait. On dit souvent "tel pokémon, tel dresseur", et Monsieur Rockwen en était la plus belle illustration. De son paternel, Allan ne conserve que le souvenir d'un homme sinistre, presque fantomatique, une ombre rodant derrière lui pour le punir ou le rabaisser, un spectre dont le regard pèse encore sur lui.
Et à force de haïr son père, Allan se mit à haïr les autres dresseurs et leurs pokémons. Ces créatures lui apparurent enfin comme ce qu'elles étaient vraiment : des parasites, de la vermine grouillante partout sur terre. Sa mère est bien placée pour lui dire : elle les étudie, mais surtout, elle les protège. Plus que son propre fils, c'est dire.
Alors Allan s'est mit à les jalouser. A vouloir les voir disparaitre.
S'il n'y a plus de pokémons, il n'y aura plus de peur et de jalousie, n'est-ce pas ?
S'il n'y a plus tout ça, il serait heureux, n'est-ce pas ?
Quand l'adolescence arriva, l'amour vint se mêler à la haine. Il se fit un ami, mais surtout, il la rencontra,
elle. Ils étaient jeunes, elle était jolie, elle était douce. Avec du temps et de la patience, elle lui montra que tout le monde n'était pas mauvais, elle lui prouva que tous les pokémons ne lui voulaient pas du mal. Elle fut sa lumière dans le noir, elle chassa les ténèbres. En secret - leur secret - ils se tenaient la main, ils se faisaient des bisous sur la joue. Ils se disaient amoureux. Allan était heureux.
Mais
elle a tout gâché, cette petite garce.
Les jours, les semaines, les années passèrent et Allan pensait avoir trouvé l'amour de sa vie. Mais à dix-huit ans, on est bête, on ne réalise pas ce que veut dire "pour toujours." Il aurait pourtant tout fait pour elle ! Sauf une chose. Partir. Quitter son chez lui, désobéir à ce père tyrannique, partir à la chasse aux pokémons.
Mais elle, avec son ponyta de malheur, elle voulait être coordinatrice.
Elle voulait partir et lui qui ne voulait que son bonheur ne put la retenir. Alors ils se firent des promesses, ils s'échangèrent des rêves d'enfants pensant pouvoir être plus fort que le temps.
« Tu m’attendras ? »
Evidemment ! Mais elle ne revint jamais. Allan ne compte plus les heures, les jours, les années. Il a espéré son retour, à s'en laisser crever ! Sur le bord de la route, posté à sa fenêtre, il a attendu longtemps, si longtemps ! Pour rien. Cette petite garce n'est jamais revenue.
Sa lumière envolée, Allan sombra à nouveau dans l'obscurité.
Onze ans qu'il l'attend dans le noir, neuf ans qu'il essaye de l'oublier. Mais comment faire quand tout lui rappelle son visage, son rire et ses sourires ? Et il y a Bidule ! Le dernier cadeau qu'elle lui a fait, quelques mois seulement avant de lui annoncer son départ. Le dernier souvenir qu'il a d'elle. Cette créature faible et pathétique - comme lui ! - qui le colle autant qu'un vieux chewing-gum sous sa semelle. Il a essayé, pourtant, de s'en débarrasser. Les premières années, il l'a abandonné dans les bois, il l'a confié à sa mère, à un centre pokémon, mais rien n'y faisait. Bidule revenait toujours vers lui. Et la dernière fois, c'est Allan qui est revenu le chercher.
Parce qu'elle lui manquait, cette petite chose.
Parce qu'elle lui rappelle tant de choses.
Parce qu'il l'aime.
C'est ensemble qu'ils ont quitté Galar. C'était le mieux à faire, rester ne servait à rien si ce n'est à se torturer. C'est son ami d'enfance qui lui a trouvé un petit job ici, à l'Académie, et un chômeur de son espèce ne pouvait pas refuser un travail et un logement. Même pour pas longtemps.
Et peut-être qu'il
la retrouvera, par delà les routes ? Peut-être pas.
Ou peut-être qu'il vivra. Enfin.