Journée de merde.

Chacun la sienne, mais le résultat était le même et ce triste jour s’achevait autour d'un verre d'alcool bien mérité. Installé au comptoir comme le pire des habitués du bar, Allan fixait le fond de son verre de whisky avec une mine déconfite. Il se repassait le film de sa journée merdique et ses pensées s'enchainaient jusqu'à dérouler toutes les merdes de son existence : maman, papa, le frangin, elle, papa, Valak, elle, elle et encore elle. Elle qui n'était pas plus là et qui parvenait quand même à pourrir sa vie.

Ce n'était pas le bon jour, c'est tout. Allan avait une très bonne mémoire des chiffres et des dates et un talent tout particulier pour se torturer l'esprit avec de tristes pensées. Si elle était restée, ça aurait fait dix-huit ans. Et il avait passé cette journée-là à passer la serpillère.

Allan soupira. Yavait des jours, comme ça, il n'avait qu'une envie : tout abandonner.

Bidule se trouvait à ses pieds, contre les barreaux du tabouret bancal. La bestiole ne supportait pas d'être enfermée dans sa pokéball. Tout bébé, il en ressortait comme un grand et, avec le temps, Allan avait complètement abandonné l'idée. De toutes façons, sa mère l'y encourageait, jugeant que ce n'était pas agréable pour les pokémons.

Le Mimitoss avait alors le droit à une petite coupelle en métal avec un peu d'eau pour se désaltérer, comme s'il était un véritable habitué du bar ! Il balançait ses antennes de droite à gauche, ne faisant rien d'autre que profiter de la présence de son Allan à ses côtés. Au plafond clignotait une ampoule en fin de vie, cela suffisait à capter toute son attention.

Ce fut lorsqu'une ombre le priva un instant de la lumière que Bidule remarqua le nouvel arrivant. Un coup d'œil lui suffit pour reconnaître le monsieur malchanceux de la salle des profs -celui avec qui il avait partagé une douche brûlante.

Il se redressa aussitôt et couina pour attirer son attention.

« Mimitoss ! Mimitoss !! »

Allan pesta et se retourna pour reprendre son pokémon qui lui foutait la honte à piailler comme une jouvencelle face à l’amour de sa vie.

« 'tain, Bidule, ferme-la un peu ! » Il releva néanmoins les yeux vers l’être qui retenait toute l’attention de son pokémon… Et il tiqua devant ce visage connu. « … Vous êtes le prof de stratégie, non ? »

Le sacrifice humain de la dernière fois, oui.

Bidule salua gaiement l'homme qui s'installait à côté d'eux. Il agita sa tête de gauche à droite pour exprimer toute sa joie d'avoir un peu plus de compagnie... Et Allan le regrettait.

Enfin, il réussit à récupérer le nom de l'illustre sacrifice humain : "Laurent", un prénom assez simple à retenir, alors il le retiendrait. Néanmoins, il oublia complètement de se présenter en retour. On ne lui avait pas demandé, sans doute que cela n'intéressait personne, et il n'allait pas chercher à assouvir la curiosité des gens aux alentours. Moins il avait à parler de lui, mieux il se portait.

De toutes manières, le prénommé Laurent avait décidé de pourrir sa soirée.

La menace tomba sans prévenir, tel le couperet d'une guillotine. CLAC ! Un frisson remonta dans le dos d'Allan et lui glaça le sang. Pas la peine d'entrer dans les détails, pas la peine de donner un nom, il comprit. Il se souvint de ce regard, ce jour-là, et s'il avait réussi à l'oublier, tout lui revint à cet instant précis.

Il grimaça et fit non de la tête, soudain sur la défensive.

« Ah mais j'ai rien fait, moi ! Je veux pas faire partie de vos délires bizarres, foutez-moi la paix ! »

Il leva les mains en signe de défense. Oh non, il ne voulait rien à voir avec ce médecin de l'enfer ! Les gens lui cassaient bien assez les couilles, pas la peine de rajouter un psycho-sociopathe machiavélique dans la liste de ses douteuses connaissances !

Le presque trentenaire se détourna presque aussitôt, histoire de couper court à la discussion et de ne pas attiser les flammes du karma. Il récupéra son propre verre et savoura une précieuse gorgée de liquide ambré, tâchant d'oublier tout ça le plus vite possible. Sa réflexion ne fut pas bien longue, mais moultes pensées eurent le temps de se presser dans son esprit. Finalement, il pivota à nouveau vers le prof dépressif et maladroit. Sa curiosité reprenait le dessus, il voulait savoir. Il devait savoir.

« ... Et vous le laissez souvent vous agresser ? Non, parce qu'à votre place, j'aurais appelé les flics depuis un bail. »

Tu parles, Allan, tu aurais fuit tel le lâche que tu es.

L'agacement gagna très vite notre cher technicien de surface. Lui aussi avait rêvé d'une soirée tranquille, lui aussi aurait voulu ne pas parler de ça ! Il roula des yeux, soupira, et attendit cette réponse qu'il ne voulait pas connaitre.

Le regard d'Allan se posa sur le cadavre de téléphone portable qu'on lui présenta. Les paroles qui accompagnaient les restes de l'objet ne firent que confirmer ses craintes : le médecin fou était un connard qui utilisait ses pokémons pour faire souffrir les gens. Il rentrait immédiatement dans la même catégorie que son frère et son père, dans la sombre catégorie des gens pourris jusqu'à la moelle, ceux qui l'avaient dégoûté de l'humanité.

Ses doigts se serrèrent autour de son verre, mais ils tremblaient. Allan fixait son fond de whisky d'un air soudain vide. Il n'entendait que trop bien les mots de Laurent, mais ils étaient si durs et si froid qu'il voulait les ignorer. Lui, une cible ? Un type intéressant à torturer ? Rien n'allait dans cette phrase. Rien n'allait dans sa vie.

Bidule releva les yeux vers les deux hommes. Il observa longuement le petit à lunettes, tâchant de lire dans ce visage qu'il ne connaissait pas bien. Il lui sembla alors que ce monsieur-là était fatigué et triste... Usé. Un peu comme son Allan. En parlant de lui, il tourna la tête vers son ami qui ne disait plus rien. Oh pauvre Allan... Le Mimitoss couina doucement et vint se frotter contre la jambe de son dresseur.

Enfin, celui-ci trouva le courage de répondre quelque chose.

« "Des stratégies pour fuir", hein ? »

Il souffla du nez. Ce qui aurait dû être un rire n'était que l'expression cynique de toute sa morosité. Il savait très bien fuir, il avait fait ça toute sa vie. Il grimaça et termina son verre cul-sec.

« Je veux juste qu'on me foute la paix, c'est trop demandé ? J'suis pas venu ici pour qu'on me casse les couilles ! »

Il haussa le ton un instant, mais sa voix retomba très vite et se mua en un murmure presque inaudible.

« C'est pas juste. »

Il se mordit la lèvre comme quand il était gamin. Rien n'était juste.

La vie est une saloperie avec nous tout le long, et ensuite on crève.  

Jamais il n’avait entendu quelque chose d’aussi vrai.

Souvent, quand il ressassait de mauvais souvenirs et qu’il en arrivait à d’aussi sinistres conclusions, les rares personnes à qui il se confiait tentaient de le faire positiver. Elle le faisait régulièrement, il rabâchant sans cesse que le monde était beau, qu’au delà des barrières et des embuches, il y avait des tas de merveilles… Mais non. C’était l’inverse. Les merdes en tout genre prenaient l’apparence de belles choses, avant de vous la faire à l’envers. Il le savait bien. Elle lui avait prouvé.

Il eut un nouveau rire - un ricanement sarcastique - et il secoua la tête à la négative. Laurent pensait vraiment pouvoir lutter ? Il lui avait décrit le diable en personne, pourtant...

A la question, le regard d’Allan glissa du comptoir pour se poser sur la chose violette à ses pieds. Bidule leva les yeux au même instant et leur regard se croisèrent. Le presque trentenaire n’avait pas besoin de demander pour connaitre la réponse : non, Bidule ne savait pas se battre. Rectification, il n’aimait pas ça. Il avait appris seul, se basant sur son lointain instinct d’animal sauvage, pour créer des vagues stratégies et mécanismes de défense contre Valak et toute sa clique. Mais il répugnait au combat direct. La violence ne faisait pas partie de sa nature et il ne l’utilisait que pour protéger celui qu’il aimait tant.

Allan le savait, et il s’en voulait de se servir de lui comme bouclier. Il grimaça et Bidule pencha la tête sur le côté.

« Mimitoss ! Mimi-Mimitoss ! »

Evidemment. Bidule lui assurait qu'il était là pour lui. Allan réprima un soupir et releva les yeux vers Laurent.

« Oui, il sait faire. Il connaît une attaque poison… “Toxik”, je crois. »

Il haussa les épaules, il n’en savait rien et il ne chercha même pas à cacher son inculture en la matière. De toutes manières, en face d’un professeur de stratégie, il aurait facilement été grillé. A la place, il fit signe au barman de remplir à nouveau son verre. Il s'accouda correctement au comptoir, à moitié tourné vers celui qui pouvait finalement être un allié.

« Tu veux attaquer ce malade de front ? Mais il a pas un tas de pokémons de merde avec lui ? »

La petite voix dans son for intérieur lui hurlait d'abandonner. Il avait déjà tenté de se rebeller contre son frère... Mais il avait échoué. Voulait-il échouer à nouveau face au médecin fou ? Non. Mais il n'était pas seul, cette fois...

« Tu le connais mieux que moi, t'as plus de chance de connaître ses faiblesses. »

Statitik, Séviper et Zorua... Allan n'avait aucune idée de qui était quoi. Ou presque. Il se souvenait bien du petit Nateo et de son pokémon qui se transformait, le même que le faux Absol rouge dans la salle des profs... Un Zorua, donc. Il nota les informations dans un coin de sa tête, mais s'il voulait partir guerroyer aux côtés de Laurent, il lui faudrait se renseigner davantage sur son adversaire et ses sbires.

Au moins, malgré l'avantage du nombre, il semblait tout aussi mauvais que lui en combat pokémon... Et c'était autant une chance qu'un problème. Il passa ses doigts dans la fourrure du Mimitoss.

«Bidule n'a jamais attaqué de gens. Il pourrait le faire, mais je veux pas qu'il s'en veuille. »

Il ne connaissait que trop bien son petit Bidule pour savoir que cette boule d'amour serait bien incapable de s'en prendre volontairement à un autre être vivant... Et puis, il ne voulait pas provoquer le médecin fou en l'attaquant directement ! Oh non, il laissait cette folie à Laurent, lui, il n'agirait que pour se défendre et n'attaquerait jamais le premier. Tel était sa stratégie aux échecs, et l'échiquier était le seul champ de bataille sur lequel il triomphait.

Il prit une gorgée de whisky, puis une autre, comme si cela pouvait l'aider à y voir plus clair. Laurent Pad'chance semblait décidé à se rebeller, parfait. Il serait un pion manipulable, son outil pour gagner.

Il acquiesça d'un signe de la tête et se lança dans un peu de psychologie de comptoir.

« S'il cache ses émotions derrière un sourire de connard, c'est qu'il est plus faible qu'il veut nous le montrer. Il doit être bourré d'incertitudes et de doutes. Il a forcément des peurs ridicules qui le poussent à écraser les autres. » Il tapota le bois du bar du bout de son index. « On va les trouver, et on va s'en servir. »

Allan eut l'ombre d'un sourire malgré lui. Un sourire confiant.... saupoudré d'animosité. Il avait toujours été la victime, alors, l'alcool aidant sûrement, envisager qu'il pouvait changer l'ordre des choses lui plaisait.

Mais ils allaient trop vite en besogne. Il fallait faire comme Mint ou Valak et prendre son temps. La victoire n'en serait que meilleure.

« La précipitation te mènera à rien. Si j'ai bien cerné le type, dis moi si je me trompe, il joue à une guerre d'usure. A force d'acharnement, il espère te voir céder. Faut que tu sois plus malin pour retourner ça contre lui. Laisse le croire à sa victoire, et écrase le ensuite. »

Il ne parlait pas encore de "nous" dans cette affaire de vengeance, Mint ne l'avait pas encore agressé et il lui fallait un plan solide pour envisager de passer à l'action.

Dans un coin obscur et poussiéreux de son for intérieur, Allan était assez ravi que l'on admette qu'il disait des choses censées. Un peu de compliments ne faisait jamais de mal à l'ego, même quand ledit ego était tout petit et rabougri.

« Soit on lui fait peur, soit on lui renvoie un truc qu'il n'aime pas chez lui… Dans tous les cas, il est taré.  »

Allan haussa les épaules. Au fond, il n'en savait pas plus que ça. Les sciences humaines n'étaient pas son domaine, ça se saurait s'il avait voulu faire dans le social. Il ne se contentait que d'observation, d'analyses et de comparaisons. On ne l'a que trop dit, Mint évoquait à Allan son frère aîné. Après plus de vingt ans de cohabitation forcée, il savait de quel bois les enfoirés étaient faits. Il connaissait leurs manies, leurs petits stratagèmes et leurs vices.

De plus, le presque trentenaire avait son avait très tranché sur les membres de l'espèce humaine : une belle brochette d'hypocrites et de menteurs, agissant pour leur propre intérêt et rien d'autre. Même les bons samaritains, ceux trop généreux qui donneraient le monde pour aider les autres n'étaient que des connards intéressés aux yeux d'Allan.

Il le savait, même lui agissait ainsi.

Il leva une nouvelle fois son verre, mais s'arrêta juste avant de le porter à ses lèvres. Laissant son geste en suspens, il observa le barman, à quelques pas d'eux, qui essuyait des verres de son torchon humide. Ce geste expert et répété l'hypnotisa une demi-seconde, avant qu'il ne termine son verre. Parler autant lui donnait soif.

« Après, c'est une façon parmi tant d'autres de le faire tomber. » Il se souvint de cet homme important avait dit jadis qu'il fallait connaître son ennemi pour mieux le vaincre. « Avant de penser à un vrai plan, faudrait connaître ses habitudes, ses manies, qui sont ses amis, et cetera. Si on arrive à avoir son planning et les endroits où il traîne, on pourra l'éviter, puis le piéger. »

Et pour répondre à la question de Laurent, il ajouta :

« T'as pas forcément besoin de parler à quelqu'un pour le connaître, ses actes parlent pour lui. » Allan glissa un regard entendu à l'autre homme. « Tu l'as dit toi-même, il ne te répondra pas. Prends pas de risques et interroge ceux qui le connaissent mieux que toi. »

... Oui, exactement ce qu'il faisait en questionnant Monsieur Pad'Chance.

Bidule écoutait la discussion avec une grande attention. Il ne comprenait pas le quart des enjeux et des risques d'une telle entreprise, mais voir que son Allan se sociabilisait un peu le remplissait de joie. Au fur et à mesure de leurs échanges, le Mimitoss posait son regard sur l'un, puis sur l'autre. Il les fixait un instant, essayait de deviner s'ils étaient plutôt content, triste ou en colère, puis tournait la tête vers l'autre. Le monsieur couvert de pansements, il le trouvait bien sympathique - mais, dans le monde quasi parfait de Bidule, qui ne l'était pas ? Il soupirait autant que son Allan, et parlait bien plus que lui, mais rien de mauvais ne se dégageait de ce petit être. Il voulait bien en faire son copain !

La main de son dresseur quitta sa tête et il se tourna vers lui. Et ce qu'il vit l'inquiéta, Allan grimaçait.

Il faut dire que les paroles de Laurent était la pire chose qu'il pouvait entendre. Il n'avait aucune envie de connaitre lesdites saloperies que le médecin fou lui avait fait subir. Oh non, s'il voulait faire des cauchemars, il se contenterait de son imagination !

Néanmoins, lorsqu'on lui proposa de lui récupérer le planning de l'infirmier, Allan acquiesça d'un signe de la tête. Si on lui évitait de faire ça lui-même, il ne pouvait refuser ! Il nota le reste des informations dans un coin de sa tête. Devoir fréquenter des lieux bondés pour éviter de se faire chopper ne lui plaisait pas, mais pour survivre, il le ferait. Et apprendre que Mint Chase n'avait pas d'amis connus ne le surprenait guère, qui aurait voulu être ami avec une saloperie pareille ? Des faibles cherchant un peu de reconnaissance ou des gens trop bons trop cons pour voir le mal qui l'habitait, peut-être.

Le technicien de surface glissa un regard vers Laurent en l'entendant bailler. Il allait lui lancer une petite pique sur le fait qu'il devait se coucher tôt, comme les gosses auxquels il enseignait, mais le professeur lui réservait une terrible nouvelle. Allan le fixa, un mélange de crainte et de dégoût dans le regard.

Le médecin fou faisait vraiment ça...?

« Eh ben putain..., railla Allan d'un ton dégoulinant de sarcasme. T'as un sacré don pour rassurer les gens, toi. »

Il secoua la tête pour chasser tout ça de son esprit. C'était une des pires nouvelles qu'on pouvait lui annoncer ! S'il n'était même pas en sécurité dans son appartement, où pouvait-il l'être !? Il passa la main dans ses cheveux, soupirant, tandis que Laurent décida qu'il était temps pour lui de partir.

Le brun lui jeta un dernier regard et se décida à lui donner son nom.

« Allan. »

Il souffla du nez, presque amusé par la tournure de la discussion. Il était bien normal que le pauvre Laurent ne se souvienne pas d'avoir entendu son nom : il ne lui avait jamais dit jusqu'alors. Le presque trentenaire se détourna finalement pour s'accouder au bar : sa propre soirée n'était pas encore finie et il pouvait bien s'accorder un dernier verre. De plus, rentrer aux côtés de Monsieur Pad'Chance trahirait leur alliance naissante.

... Tiens, c'était drôle, ça aussi. A les voir ainsi, on aurait presque pu les croire amis.

D'un vague geste de la main, sans vraiment le regarder, il le salua d'un vague geste de la main.

« Allez, à plus ! »

Il allait se revoir, il le savait. Il le fallait.

Pour Allan Rockwen, la soirée était déjà finie. Elle se terminerait ici autour d'un dernier verre, puis il rentrerait s'enfermer à double tour dans son petit appartement. Il ne dormirait pas avant une ou deux heures du mat', il y avait bien trop d'informations à traiter et à digérer pour son petit cerveau, mais rien de plus n'allait arriver.

C'était donc bercé de dénis, d'une naïveté qui ne lui ressemblait guère, que le presque trentenaire commanda un dernier verre. Il ne vit pas l'homme approcher dans son dos, il n'y songea même pas. Ce n'est que lorsqu'il posa sa main sur le comptoir et que sa voix brisa le silence qu'Allan jeta un regard par dessus son épaule. Avec une lenteur digne d'un mauvais film d'horreur, il pivota vers l'homme. Son regard remonta le long de ce bras, jusqu'à son visage, et le sang d'Allan se glaça.

Bidule se redressa sur ses pattes arrière. Du haut de son mètre zéro quatre, il fixa à son tour le terrible Mint. Avait-il compris qu'il était mauvais ? Peut-être pas, mais l'attitude de son Allan ne mentait pas : quelque chose n'allait pas et il lui fallait défendre son dresseur.

Sous la lueur glauque de l'ampoule qui clignotait au dessus d'eux, Mint se détourna. Main sur l'épaule de Laurent, il entraînait déjà sa victime vers l'extérieur. Allan restait là, sur sa chaise, impuissant et incapable. S'il avait pu bouger, aurait-il couru au secours de son allié de fortune ? Non, Allan était lâche et ils avaient perdu. Le médecin fou, au timing incroyable, avait agit comme tout stratège qui se respecte : profiter du moment où son adversaire se sent en sécurité et en position de force pour venir l'écraser.

Oh, et ce n'était pas fini. Evidemment.

Mint revint vers lui, une dernière fois, menaçant derrière ce faux sourire. La comparaison avec son frangin n'était plus à faire et Allan serra son poing de toutes ses forces pour en cacher les tremblements. Il était furieux, et terrorisé. Cette promesse de se revoir, cette menace claire et précise lui tordit l'estomac. Mais le pire dans toute cette sombre histoire, c'était qu'à présent, Mint connaissait son nom.

Il déglutit pour pouvoir dire quelque chose, mais aucun son ne parvient à franchir ses lèvres. Allan se retrouva bête et impuissant face au médecin. C'était comme avec l'autre connard. Les remarques acerbes fleurissaient dans son esprit fertile, mais il n'avait pas le courage de les dire à voix haute. Par sa lâcheté, Allan manqua son instant de gloire. Il aurait pu, il aurait dû, stopper ce terrible cercle vicieux ici et maintenant, avant qu'il ne les emporte dans un infini tourbillon d'angoisse et de machination. Il aurait pu se lever et s'interposer. Prouver qu'il n'était plus cette docile victime, qu'il ne se laisserait pas faire ! Mais non.

Allan était lâche.

La porte du bar se referma.

Journée de l’enfer, soirée de merde.