Dans un coin de sa feuille de notes, Archibald griffonnait son prénom en alphabet zarbi. Cela lui demandait beaucoup de temps et d'application, et le petit bout de langue qui dépassait de ses lèvres trahissait sa concentration. De ce fait, il n'écoutait plus vraiment ce que racontait son prof. Il adorait le professeur Moe, il adorait sa matière et il adorait les vieux cailloux pris en photo ! Mais rien y faisait, il n’arrivait pas à se concentrer sur la leçon du jour. Alors, quand sonna enfin l’heure de la libération, Archibald fut l’un des premiers à avoir rangé ses affaires au fond de son sac à dos.

Mais ! Erreur fatale pour le joueur Kalossien, carton rouge et exclusion : le voilà appelé par l'entraîneur. Les rêves de gloire et de liberté d’Archie volèrent en éclat et son cerveau grilla. Bbhjfbdhjbf. L’excuse “j’peux pas, j’ai aqua-ponyta” n’allait pas fonctionner aujourd’hui, Archie le sentait. Coupé dans son élan, il réprima tant bien que mal une moue mi-agacé mi-nerveuse. Le temps que ses camarades de classe retrouvent leur liberté, il eut la possibilité de se repasser mentalement la liste de ses quinze dernières conneries… Et la question était la suivante : pour laquelle de ces bêtises allait-il être puni aujourd'hui ?

D’une démarche nonchalante frisant l’arrogance, Archibald s’avança jusqu’au bureau du professeur. La main sur la sangle de son sac, il posa son autre poing sur sa hanche.

« De quoi vous vouliez me parler, m’sieur ? Si vous cherchez celui qui a tagué le mur des chiottes, j’peux pas vous aider : on ne trahit pas ses potes ! »

Il ponctua sa phrase d’un rire léger, histoire de détendre l’atmosphère. De un, c’était bien lui le coupable, et de deux, son petit doigt lui soufflait que Monsieur Moe ne voulait pas discuter des différentes formes d’art pictural retrouvées dans les lieux d’aisance.

A la remarque du professeur, un large sourire vint illuminer le visage d'Archie. Son rire se fit plus franc et il ne put s'empêcher de lui adresser un clin d'œil complice.

« J'y penserais, m'sieur, je vous ferez une super dédicace. »

Il ricana encore un peu, amusé par la situation. Puis le professeur Moe exposa la véritable raison de cet entretien surprise. Archibald n'en fut pas surpris, il s'en doutait un peu, mais il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Une brève seconde, il baissa les yeux et afficha un air triste… Avant de se ressaisir. Archie, c'était la joie, la bonne humeur. Rien ne devait pouvoir chasser ça.

« Non mais je vais archi bien ! Faut pas vous inquiétez pour ça, m'sieur ! »

Il hocha la tête avec le sourire, regardant son professeur droit dans les yeux pour lui assurer que tout allait bien. Il ne le tromperait certainement pas, mais il devait le tenter. Il ne voulait pas en parler. Malgré lui et sans vraiment s'en rendre compte, le garçon se recula d'un pas et vint s'adosser à la table qui se trouvait pile en face du bureau. Il creusait l'écart entre eux, s'assurait un espace vital sécuritaire, alors qu'il prenait une posture trop décontractée.

« Vos cours sont super chouettes et tout ! C'est trop la classe les fossiles, j'adore ! »

Il parlait avec sincérité, on ne pouvait pas lui retirer ça. Ses yeux brillaient d'envie quand il mentionnait une partie de son rêve, pourtant, son cœur se gorgeait de tristesse. Et pour éviter de chialer, il continuait de parler.

« Franchement, faut pas vous en faire. »

Au fur et à mesure du joli discours du professeur, Archibald croisa les bras et son sourire se fana. Il ne le quittait pas du regard, certainement pour l'affronter sans ciller et jouer aux durs, mais il s'était refermé. Les mots de l'adulte étaient d'une effarante maladresse, mais son objectif sincère et louable.

Archie tenta un sourire et secoua la tête.

« Non, non, vous vous trompez. Je comprends les cours et sincèrement, j'adore tout ce que vous dites. J'aimerais trop partir comme vous et être chercheur… Mais j'y arrive plus. C'est pas que j'ai plus envie mais… Un peu. »

Presque honteux, Archibald baissa les yeux vers le bout usé de ses chaussures. Il les fixa un instant, en silence. Le professeur Moe le connaissait et en plus, il avait lu son dossier. Il ne lui restait que la fuite - mais Archie ne fuit jamais, ce n'est pas un robinet - ou avouer ce qu'il avait sur le cœur. Il était acculé, coincé dans cette salle de classe face à un prof qui ne voulait que son bien. Pourtant, ça ne le rassurait pas. Il ne voulait pas être celui que l'on console. Il voulait être assez grand pour surmonter ça tout seul. Mais ce n'était encore qu'un enfant.

Lorsque Tord mentionna cet événement en particulier, des larmes virent lui piquer les yeux. Lui qui était si bavard n'arrivait plus à rien, le nœud dans sa gorge bloquait chacun de ses mots. Il tenta bien de déglutir, mais rien ne parvenait à chasser cette boule de tristesse et de désespoir.

« Mon grand-père, il… » Impossible de finir sa phrase. Il se mordit la lèvre le plus fort possible pour retenir un sanglot, mais une ou deux larmes roulèrent sur ses joues. D'une toute petite voix, si ridicule comparée à ses habituels élans de fierté et de joie, il marmonna : « Je dois tellement le décevoir… »

Archie sursauta lorsque le professeur posa la main sur son épaule. Il releva les yeux vers lui et le détailla un instant. Il ne s'attendait visiblement pas à un geste aussi tendre, mais, malgré tout ce qu'il pouvait bien dire, cela le rassura un peu. Il scruta son regard encore un peu, à la recherche de quelque chose à se raccrocher.

Le professeur Moe énonçait de banales vérités, mais il était important de les entendre.

Archie renifla un bon coup, s'essuya les yeux et le nez de sa manche et tâcha de se ressaisir. Parler de celui qui n'était plus là était compliqué, se rappeler des moments heureux également... Pourtant, il essaya.

« Il s'appelait Oscar... Hm... C'était un scientifique reconnu, il étudiait les fossiles de pokémons... Ah ! Attendez. »

Soudain, il eut une idée et il passa son sac devant lui pour l'ouvrir. Il farfouilla à l'intérieur jusqu'à sortir une photo de ses cahiers de cours. Il la tendit à Tord pour illustrer ses propos, alors qu'un léger sourire illumina à nouveau son visage.

« Il a travaillé sur des centaines de chantiers de fouilles, yavait pas meilleur que lui, il connaissait tout ! On allait dans la bibliothèque et il me racontait toutes ses aventures. »

Sur la photo, se tenait un homme d'une trentaine d'années. Son style vestimentaire datait d'il y a presque cinquante ans, et plus personne n'osait porter une aussi élégante moustache ! Le chercheur posait avec quelques uns de ses compagnons de chantier, une main sur leur trouvaille : un énorme fossile ! La ressemblance entre le grand-père et son petit-fils était flagrante, surtout qu'Archibald portait la même gavroche que lui en cet instant.

Le jeune homme l'observa avec nostalgie, avant de répondre à la véritable question du professeur, celle qu'il avait évité.

« On s'était promis qu'on partirait explorer le monde quand j'aurai fini mes études… Mais, il est plus là et... Et je fais plus d'effort. C'est pour ça qu'il doit être déçu... » Il regarda à nouveau vers Tord. « Vous ne seriez pas déçu, vous ? »

Un mouchoir pour essuyer ses larmes et sa morve, était-ce mieux que la manche de sa chemise ?

« Hm... Oui ! »

EVIDEMENT.

Il étouffa un rire et confia un instant sa précieuse photo au professeur, le temps de se moucher correctement, dans la classe et la discrétion digne son rang et de son héritage familial... C'est faux. Les trompettes de l'Apocalypse sonnaient moins fort qu'un Archie se mouchant. Chose faite, il jeta son mouchoir à la poubelle, dans un panier parfait.

Alors qu'il récupérait et rangeait son trésor dans son cahier de cours, Archibald repéra le pokémon du professeur. Il songea que c'était quand même la classe d'avoir un zarbi aussi stylé et coloré, mais se reconcentra bien vite sur ce qu'on lui disait.

Entendre les douces paroles et les compliments de son professeur réchauffa le cœur du petit Archibald. Il retrouva un sourire, discret, mais évocateur de son soulagement. Et puis, entendre qu'il ressemblait à son idole, cela ne pouvait que lui remonter le moral !

Néanmoins, la suite l'attrista à nouveau. Il n'avait pas pensé que son grand-père puisse être blessé de le voir aussi mal. Quel égoïste !

« J'avais pas vu les choses comme ça...  se confia-t-il en baissant les yeux. Je pensais pas que... »

Il ne termina pas sa phrase et alors qu'il se perdait dans ses propres réflexions, il laissait au professeur Tord l'occasion de faire de même. Archie songea un instant à la manière dont il pouvait agir pour se remotiver et ne plus inquiéter son pépé au ciel, mais rien ne lui venait. C'est alors que la voix de Tord s'éleva à nouveau.

Il lui dit des mots. Des choses si merveilleuses que l'adolescent resta une demi-seconde sans voix.

Soudain, le visage d’Archibald s’illumina et des étoiles naquirent dans le vert de ses iris.

« Non… Sérieux…? » Il cligna plusieurs fois des yeux, incrédule. Jamais dans toute sa scolarité, il n'avait songé pouvoir un jour visiter un véritable chantier de fouilles avant sa majorité. Aux côtés d'un expert, en plus ! La proposition de Tord, c'était un rêve éveillé. Un large sourire étira ses lèvres quand il réalisa que c'était bien vrai. « Oh ! Ce serait trop bien ! Bien sûr que ça me plairait, vous croyez quoi !? Faut que je téléphone à ma mère pour lui dire ! Elle pourra pas dire non ! »

Archie se laissa emporté par ses propres émotions, incapable de gérer tout ça en même temps. Il y avait de la joie, de l'excitation et de la reconnaissance. Tout ça à la fois, dans le petit cœur du jeune homme créait un cocktail explosif de bonne humeur. Les sanglots de tout à l'heure ? Envolés ! Archibald agitait ses mains comme une groupie au concert de son idole, il sautillait même sur place et les larmes qui illuminaient ses yeux étaient à présent des larmes de joie ultime.

« Oh, merci m’sieur ! »

Et, brisant la barrière que professeur et élève devaient maintenir entre eux, Archibald sauta au cou de Tord pour lui faire un câlin.

Le mieux que tu puisses faire c’est prendre soin de toi pour aller de mieux en mieux. Le conseil du professeur Tord avait du sens, quand bien même il fusse terriblement compliqué à mettre en place. Prend soin de soi-même, voilà une chose qu'Archibald n'avait - étonnement - jamais fait.

Il hocha cependant la tête à l'affirmative, signe qu'il prenait note de ce précieux conseil et qu'il tâcherait de l'appliquer. Et s'il n'arrivait pas à le faire pour lui-même, il le ferait pour son grand-père... Et pour son professeur préféré.

Et puis de toutes façons, il ne pouvait qu'aller mieux ! Il le fallait pour ce merveilleux voyage à venir ! Il n'avait toujours pas eut l'autorisation de ses parents, mais dans sa tête, ses valises étaient déjà faites.

« Je vous filerais le numéro de maman, si vous voulez ! Comptez pas sur mon père pour vous répondre, sauf si vous l’appelez sur son téléphone pro ! Et encore, il vous renverra à sa secrétaire. » Archibald marqua une pause, préparant l’ambiance pour cla précision à venir qui ne faisait rire que lui. « C’est ma mère, la secrétaire. »

Trop fier de lui, il gloussa contre l’épaule du prof’ qu’il n’avait pas lâché.

Et puis... Archibald se tut. On disait souvent qu'il fallait se méfier lorsqu'un enfant était trop calme et silencieux - et avec Archie, c'était doublement le cas - mais cette fois-ci, l'adolescent ne préparait rien de mal.

Dans les bras de Monsieur Moe, il profitait simplement de l'instant présent.

Il gardait jalousement le professeur dans ses bras, ne voulait plus le lâcher. Il se rendit compte à cet instant précis que c'était ça, qui lui manquait, un peu de contact humain et de chaleur. Sa mère était avare en gestes tendres, son père trop occupé pour lui faire des câlins. Il y avait bien ses sœurs, mais elles n'étaient pas à l'Académie. Elles lui manquaient. Le manoir familial lui manquait.

Il voulait rentrer chez lui. Retrouver la bibliothèque. Revoir son grand-père.

Il ferma les yeux et inspira un bon coup.

Enfin, il lâcha le professeur et leva les mains en ricanant.

« Hé hé, oups ! Je crois que je me suis un peu emporté ! »

Archibald étouffa un autre rire au patpat sur sa tête - ses cheveux ne ressemblaient déjà à rien, alors un peu plus ou un peu moins... - et il s'empressa de remettre son précieux couvre-chef sur le haut de son crâne. Il était content, cela ne se voyait que trop bien sur son visage, et il hocha encore une fois la tête.

« Hm... Là, j'ai encore cours et je vais être en retard ! Et j'ai aussi plein de devoirs, dont un compte rendu de la sortie au musée d'Hisui à faire... »  Il ponctua sa phrase d'un clin d'oeil beaucoup trop complice avant d'ajouter. « Donc j'appelle ma mère ce soir ou demain et je vous tiens au courant le plus vite possible, ok ? »

Voilà bien une chose qu'il n'oublierait pas de faire. Demain, huit heures, il serait devant la salle de classe du professeur Tord avec la réponse (positive) de sa mère. Ce voyage, c'était la chance de sa vie : voir un vrai chantier, rencontrer des experts qui lui donneront conseils et astuces... Rien n'y personne ne pourrait l'empêcher d'aller là-bas !

Le jeune garçon avisa malgré tout l'horloge sur le mur de la classe. Il était temps pour lui de partir, mais... Il n'en avait pas vraiment envie. Il se massa la nuque, cherchant ses mots pour faire durer la discussion un peu plus longtemps.

« Mais... Merci, m'sieur. C'était cool de pouvoir parler avec vous et... Et c'est pas encore ça, mais je me sens un peu mieux quand même. »

Il releva les yeux vers lui et lui adressa un petit sourire. Sur le départ, il remit son sac sur son épaule. La discussion redevenait embarrassante, mais il tenait à lui dire tout ça.

« Et je vais essayer de faire un peu plus d'efforts en classe, que vous fassiez pas tout ça pour rien... »